Une silhouette fine et gracieuse nous fait signe de la main alors que nous descendons du bus à Paea, un hameau à 25 km de Papeete sur la route qui fait le tour de Tahiti, entre montagne et lagon. La chorégraphe Tumata Robinson nous reçoit dans sa jolie maison traditionnelle, lovée au cœur d’un jardin luxuriant et enchanteur. Nous avions rencontré la cofondatrice des Grands Ballets de Tahiti et directrice de la compagnie Tahiti Ora quelques jours plus tôt, à l’occasion de la création de son nouveau spectacle dans un grand hôtel de Papeete.
Tumata est une figure bien connue à Tahiti, et une chorégraphe célébrée à travers le monde pour ses spectacles hauts en couleurs. Des dizaines de danseurs composent Tahiti Ora, l’un des seuls groupes de danse de Polynésie à connaître un rayonnement international. Des Marquises aux Îles de la Société en passant par les Tuamotu, Tumata a su capter l’essence même de la culture polynésienne. Les danses ancestrales irriguent son univers chorégraphique, et fondent un langage contemporain et personnel qui ne bascule jamais dans l’ornière du folklore.
Derrière la magie des tableaux, la splendeur des costumes végétaux (des centaines pour chaque spectacle !) et la virtuosité des danseurs se cache pourtant une réalité moins brillante. Une petite scène sans même un tapis de danse, des moyens techniques dérisoires, le tout à l’occasion d’un walking dinner dans un hôtel 5 étoiles de Papeete : voici les conditions de création de « Tahiti ‘Anapa », le nouveau spectacle de Tumata. Les danseurs et musiciens ont tout juste eu le temps d’arriver, après leur longue journée de travail dans les bureaux de quelque compagnie ou ministère. Comme toujours, le cachet sera maigre, aucune subvention ne venant épauler Tahiti Ora dans ses efforts pour professionnaliser ses artistes.
L’amertume de Tumata et de son équipe est grande, et on la comprend. Des années de démarches n’ont pas permis d’infléchir la politique du Territoire en matière de culture. En Polynésie, les artistes n’ont pas de statut, les créateurs ne sont pas subventionnés et seuls quelques privilégiés ont accès aux spectacles, dans des hôtels de luxe ou à l’occasion de rares festivals, comme le grand concours du Heiva en juillet. Si on peut être légitimement inquiet pour l’avenir de Tahiti Ora, la compagnie de Tumata Robinson est cependant l’arbre qui cache la forêt. Son prestige à Tahiti et son rayonnement à l’étranger la maintiennent la tête hors du lagon. Des dizaines d’autres groupes boivent, quant à eux, copieusement la tasse. Dans l’indifférence générale.
Interview de Tumata Robinson, réalisée par l’équipage du Florestan le 25 août 2015
Vidéos: Tahiti Ora – Heiva 2011
Moorea, îles du Vent, archipel de la Société