Le groupe Outhere Music s’associe au projet humanitaire et culturel de Music Fund et confère au voyage du Florestan sa dimension sonore. Tous les deux mois, nous vous proposons la « playlist du bord », résumé subjectif et sonore des émotions, des sensations et des échanges qu’autorisent un grand voyage sur un petit voilier…
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« Cueillez votre jeunesse » nous enjoint Ronsard dans son poème « Mignonne allons voir si la rose ». Un message aux accents de carpe diem, auquel l’équipage du Florestan n’est pas resté insensible au moment de se lancer à travers les mers il y a un peu plus d’un an, le 21 juillet 2014. D’ailleurs, Florestan, génie facétieux de Robert Schumann n’est-il pas le dieu de la folie, de la spontanéité, de la créativité? Quant à la mer, cette mer « à la gueule ravagée » (H. Michaux) et au caractère aussi imprévisible qu’entier, ne lui sied-elle point comme un gant?
« Reste si tu peux, pars s’il le faut » disait le navigateur Bernard Moitessier. Partir, il le fallait, certes. Tessier, Liszt, Brahms ou Berlioz n’auraient pas désapprouvé, eux qui ont sillonné les routes d’Europe en leur temps. Mais chaque jour la pensée de la Belgique et de ceux que nous avons laissés sur le quai nous accompagne, nous rappelant que tout choix implique un sacrifice. Raison suffisante pour donner du sens à notre périple. Le voyage, oui, mais pas l’errance. L’aventure pour sa part de hasard, non d’irresponsabilité.
Plus que jamais, donc, nous croyons dans le projet de Music Fund. La musique ne pourra évidemment jamais résoudre tous les maux du monde, mais comme le voyage, elle ouvre l’esprit et trace la voie du dialogue entre les cultures. Notre expérience nous le prouve chaque jour. Continuons donc de rêver les yeux grands ouverts et de soutenir cette initiative porteuse d’espoir.
Merci pour votre fidélité depuis un an.
« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté »
(Baudelaire, L’invitation au voyage)
Une silhouette fine et gracieuse nous fait signe de la main alors que nous descendons du bus à Paea, un hameau à 25 km de Papeete sur la route qui fait le tour de Tahiti, entre montagne et lagon. La chorégraphe Tumata Robinson nous reçoit dans sa jolie maison traditionnelle, lovée au cœur d’un jardin luxuriant et enchanteur. Nous avions rencontré la cofondatrice des Grands Ballets de Tahiti et directrice de la compagnie Tahiti Ora quelques jours plus tôt, à l’occasion de la création de son nouveau spectacle dans un grand hôtel de Papeete.
Tumata est une figure bien connue à Tahiti, et une chorégraphe célébrée à travers le monde pour ses spectacles hauts en couleurs. Des dizaines de danseurs composent Tahiti Ora, l’un des seuls groupes de danse de Polynésie à connaître un rayonnement international. Des Marquises aux Îles de la Société en passant par les Tuamotu, Tumata a su capter l’essence même de la culture polynésienne. Les danses ancestrales irriguent son univers chorégraphique, et fondent un langage contemporain et personnel qui ne bascule jamais dans l’ornière du folklore.
Derrière la magie des tableaux, la splendeur des costumes végétaux (des centaines pour chaque spectacle !) et la virtuosité des danseurs se cache pourtant une réalité moins brillante. Une petite scène sans même un tapis de danse, des moyens techniques dérisoires, le tout à l’occasion d’un walking dinner dans un hôtel 5 étoiles de Papeete : voici les conditions de création de « Tahiti ‘Anapa », le nouveau spectacle de Tumata. Les danseurs et musiciens ont tout juste eu le temps d’arriver, après leur longue journée de travail dans les bureaux de quelque compagnie ou ministère. Comme toujours, le cachet sera maigre, aucune subvention ne venant épauler Tahiti Ora dans ses efforts pour professionnaliser ses artistes.
L’amertume de Tumata et de son équipe est grande, et on la comprend. Des années de démarches n’ont pas permis d’infléchir la politique du Territoire en matière de culture. En Polynésie, les artistes n’ont pas de statut, les créateurs ne sont pas subventionnés et seuls quelques privilégiés ont accès aux spectacles, dans des hôtels de luxe ou à l’occasion de rares festivals, comme le grand concours du Heiva en juillet. Si on peut être légitimement inquiet pour l’avenir de Tahiti Ora, la compagnie de Tumata Robinson est cependant l’arbre qui cache la forêt. Son prestige à Tahiti et son rayonnement à l’étranger la maintiennent la tête hors du lagon. Des dizaines d’autres groupes boivent, quant à eux, copieusement la tasse. Dans l’indifférence générale.
Interview de Tumata Robinson, réalisée par l’équipage du Florestan le 25 août 2015
Vidéos: Tahiti Ora – Heiva 2011
Moorea, îles du Vent, archipel de la Société
« Vous êtes Belges !? Comme Jacques Brel ? » Le petit Marquisien avec qui nous bavardons doit avoir 8 ou 9 ans. À l’instar de la plupart de ses petits camarades, il serait bien incapable de nous fredonner la moindre chanson du Grand Jacques. Ses parents ou ses grands-parents non plus, d’ailleurs. Certains couplets des « Marquises », peut-être. Et encore, sur un ton qui évoque plus les célèbres chants guerriers de l’archipel que la douce mélancolie de l’original. C’est qu’ici Brel n’est pas un chanteur. Jojo n’est pas l’ami pleuré dans l’une de ses plus belles mélopées, mais bien un petit avion affrété au transport des malades et du courrier. « Amsterdam », « Ne me quitte pas » ou « J’arrive » n’ont pas tant fait pour la célébrité du personnage que les deux projecteurs 35 mm qu’il offrit aux habitants d’Hiva-Oa, inaugurant le premier cinéma de l’archipel. Dépouillé de sa célébrité, Brel a terminé sa vie dans une simplicité déconcertante. S’il fit usage de son nom, ce fut pour rappeler à ses responsabilités le gouvernement polynésien de Tahiti, coupable d’avoir longtemps considéré les Marquises comme un archipel de seconde zone. Un trait de caractère qu’il partage avec Gauguin, autre citoyen illustre du petit village d’Atuona.
Au détour d’une ruelle escarpée, un joli pavillon blanc occupe l’emplacement de la maison de Brel dans le village. Le modeste bungalow de bois où vécurent Jacques et Madly a été remplacé par la construction actuelle peu de temps après la mort du chanteur. Aujourd’hui, c’est Eric, professeur au lycée du village, qui y habite. De sa terrasse, on contemple la baie d’Atuona et les sommets du Mont Temetiu. Eric nous raconte son arrivée dans la maison, il y a un an. Et le comportement pour le moins curieux de son ordinateur qui connut alors un « bug » inexplicable. À chaque démarrage, la machine lançait une des chansons de Brel stockées sur le disque dur. Profondément troublé, Eric a fait cesser le phénomène en achetant un nouvel ordinateur. À quelques pas de la maison, plus haut dans la rue, le petit cimetière du village offre sensiblement la même vue sur la mer et les montagnes. Brel est enterré sous un bosquet d’essences locales. Une tombe-jardin propice à la méditation, entre deux immensités. Celle du paysage d’une part, celle de l’homme qui y repose ensuite. Hiva-Oa, Tahuata et Ua-Pou : trois îles sublimes et sauvages, confettis rocheux perdus au milieu du Pacifique, qui nous offrirent l’une de nos plus belles escales. Les navigateurs qu’on y rencontre ont tous traversé le grand océan. Tous ont connu les affres du pot-au-noir, des vents forts et des houles croisées. Pour la première fois, nous appartenons à une véritable communauté, solidaire et généreuse. Qu’ils naviguent sur un yacht de grand luxe ou sur un esquif bricolé, les équipages parlent désormais la même langue : celle du Voyage.
Et il fut temps de reprendre la mer. Cap au Sud-Ouest, vers l’archipel des Tuamotu, un chapelet d’atolls égrainés sur plus de 1500 km. Quatre jours de mer, pour arriver aux abords d’Ahe, au Nord de l’archipel. Frêle dentelle de corail dépassant de peu le niveau de la mer, l’atoll enserre un lagon dans lequel on pénètre par une passe. La lune règle la valse des marées, l’eau entrant et sortant alternativement du lagon à la vitesse… d’un torrent. Il faut donc bien calculer et n’emprunter la passe qu’avec un courant de marée favorable. Pour tout dire, nous avons bien failli ne pas rentrer à Ahe. Quand nous nous sommes présentés devant la passe, un vent contraire soufflait grand frais, et une ligne de grains nous privait régulièrement de toute visibilité. Nous redoutions à la fois de rentrer vent contre courant et de ne plus rien y voir une fois dans le lagon. Quatre heures à la dérive devant la passe, entre l’irrépressible tentation de forcer le passage et la conscience d’un danger bien réel. Nous sommes finalement entrés, à toute allure, accueillis dans le lagon par des vagues qui nous ont littéralement lessivés, noyant le pont et se jouant de Florestan et de ses douze tonnes comme d’un bouchon.
Succession d’îlots (les motu) reliés entre eux par le récif corallien dont ils émergent, l’atoll d’Ahe héberge une petite communauté de 500 personnes, réparties sur une centaine de kilomètres de côtes. Très vite, nous avons été adoptés. Arrivés le 20 juillet, nous avons encore pu profiter des festivités qui battent leur plein tout au long du mois, à travers toute la Polynésie. Nous avons assisté pêle-mêle à des concours de portage de fruits, de courses de sacs, de colliers de coquillages, de valse viennoise, de lancer de noix de coco et de chants polyphoniques. Dès la deuxième soirée, nous avions nos « places d’honneur », réservées pour nous au premier rang du minuscule chapiteau dressé devant la mairie. Les commentaires en direct de la soirée faisaient grand cas de notre présence. Dans le style : « Allez, on chante juste aujourd’hui, nos invités sont là. »
Nous avons fait plusieurs mouillages à Ahe, profitant de la splendeur et de la paix du lieu. La douceur des habitants (les Paumotu) est presque une tendresse. Le dimanche, tout le monde se retrouve à la buvette de l’aérodrome. Il y a trois vols par semaine, opérés dans le cadre d’une politique de désenclavement des atolls. Ce sont des habitants des îlots voisins qui veillent au grain : contrôleur aérien, bagagistes et pompiers retournent à leurs cocoteraies une fois l’avion reparti. Sauf le dimanche, donc, où la bière Hinano inonde l’aérogare. Parmi les habitués de ces réunions bien arrosées, Patrick Humbert, perliculteur bordelais de 74 ans, installé à Ahe depuis 1972. Surnommé « Papa’u » (grand-père) pour avoir pendant plusieurs années organisé avec son voilier le ramassage scolaire des écoliers, il élève des huîtres et produit la fameuse perle noire, joyau des Tuamotu. Nous sommes restés une bonne semaine au motu Kamoka, chez Patrick. Idéaliste et exalté, notre homme n’a pas été épargné par la chute des cours de la perle, intervenue il y a une dizaine d’années. Sa ferme perlière est aujourd’hui ouverte aux voyageurs qui y trouvent une escale chaleureuse et pleine de vie. Patrick fut aussi proche de celui qui fit d’Ahe un atoll célèbre entre tous à la fin des années 70 : le navigateur français Bernard Moitessier. Longue évocation, devant un bon poisson grillé, de celui qui incarna un modèle pour des générations de navigateurs, et dont les idées en matière d’écologie été un jalon important de la gestion durable des atolls.
Moorea, Îles du Vent, archipel de la Société
En ce matin du 24 juin, c’est une vision presque irréelle qui surgit droit devant l’étrave. Une montagne! Ses flancs plongeant dans la mer et son sommet nimbé de nuages déchirent un horizon resté vierge durant près de 36 jours. Certaines îles tendent à se faire discrètes, à confondre leurs rivages avec l’écume, à se réserver jusqu’au dernier moment. Les Marquises ne jouent pas ce jeu-là: les navigateurs qui achèvent la traversée du Pacifique voient poindre devant eux leur objectif dans toute sa monumentalité. 36 jours à savoir que cette rencontre finira bien par se produire, mais 36 jours ! Au point de finalement en douter… Et pourtant, nous sommes arrivés. Hiva Oa, principale île du Sud de l’archipel des Marquises, reçoit notre ancre au terme d’un voyage de près de 4.200 milles nautiques, la plus longue traversée sans escale de Florestan depuis son départ il y a tout juste un an.
Le temps et l’espace: deux dimensions que l’on croit obéir à des règles immuables, celles de notre monde civilisé, uniformément orienté vers l’efficacité et la rentabilité. La traversée de l’Atlantique en 18 jours avait un peu ébranlé ce fondement ; celle du Pacifique, deux fois plus longue, nous en a révélé l’inanité. De Panama aux Marquises, le temps a cessé d’être pour nous une valeur. Il s’est fondu dans des notions qui n’appartiennent qu’à la navigation en haute mer: le temps qu’il faut pour que l’orage s’apaise, pour que le grain éclate, pour que le vent devienne portant, pour que le soleil ou la lune plongent dans la lumière ou dans les ténèbres l’univers mouvant dont nous faisons désormais partie. Ce temps qui se décline en mille petits événements appartient à l’éternité de la mer. La seule véritable préoccupation des navigateurs est de le traverser. Car c’est bien ici qu’est la surprise: un long voyage en voilier est une odyssée sur le dos du temps. Le temps qui absorbe en lui jusqu’à la notion même d’espace ou de distance. Nous avons parcouru 36 jours d’éternité.
Gentiment bercés par un reste de houle qui a su faire sa route jusque dans le mouillage de Hiva Oa, nous digérons ce qui fut pour nous une expérience extrêmement intense. Il nous faudra du temps pour qu’une forme de torpeur un peu extasiée se dissipe et que nous remontions à la surface du monde des hommes. Mettre pied à terre pour aller faire des courses à l’épicerie nous semble une idée parfaitement incongrue… Sur la table à carte, le livre de bord encore ouvert aligne sur 14 pages d’interminables colonnes de chiffres et les événements qui ont émaillé la traversée. Le départ de Panama alors que les orages éclatent partout autour de nous, les adieux aux amis que nous reverrons de l’autre côté, ou peut-être pas (comme Ian qui lève l’ancre pour rallier en solitaire Brisbane sans escale), un dernier slalom entre les cargos au mouillage qui attendent pour le canal, et voici la mer.
“23 juin, 16h, au large de la frontière entre la Colombie et l’Equateur: trombes d’eau formant des colonnes noires entre la mer et les nuages, frangées d’écume. Nuit du 23 au 24 juin: orage généralisé. Peu de route parcourue au 120°, à éviter les coups. Puis, de 3h à 6h, orage sur nous. Nombreux éclairs, ciel irisé, nuages colossaux. 30 nœuds de vent. Plancton phosphorescent. Dauphins autour de nous, comme des torpilles en flammes qui font des arabesques lumineuses dans le plancton. A 6h: pluie diluvienne”. Des mots dans le livre de bord, des sensations littéralement tatouées dans nos mémoires. Des images, des parfums, des sons. Comme le souffle de cette baleine qui tourne rageusement autour du bateau à la dérive, alors que nous profitions d’un peu de répit après les affres du pot au noir. Comme cet albatros qui nous accompagne une matinée au large des Galapagos, comme ces ciels étoilés qui enchantent nos nuits ou comme la visite d’une bande de dauphins joyeux, livrant un véritable spectacle autour de l’étrave.
Le temps, toujours lui: tous les mille kilomètres, on change d’heure! La vie s’écoule au rythme des quarts, avec ses rituels. Les repas, pris ensemble toujours à la même heure, font l’objet d’une attention spéciale. Nous avons eu des légumes jusqu’à la fin de la traversée. Chaque fois que l’on ouvre un potiron ou une courge, la saveur de la terre envahit le carré du bateau. Tous les jours, à 10h du matin, le téléphone satellite nous livre une fournée de messages d’amitié et d’encouragements. À 16h, c’est l’évaluation de la distance parcourue et du temps qui nous sépare du cap Matafenua, à l’extrémité Est de Hiva Oa. Lecture, écriture, couture, pêche et bricolages divers au bateau occupent nos heures de veille. Parfois, un événement inattendu interrompt le cours des choses, comme cette séance de deux heures de plongée en apnée dans 3 mètres de houle pour dégager les restes d’un filet de pêche pris dans l’hélice. Un cordage amarré à la taille du plongeur afin de l’alerter au cas où un requin se montrerait trop curieux…
Nous voici donc aux Marquises, poste avancé de la Polynésie française, petit archipel volcanique aux reliefs déchiquetés, qui a fasciné de nombreuses générations de voyageurs. À deux pas du mouillage d’Atuona, sur Hiva Oa, repose l’un d’eux, dont l’action en faveur des Marquisiens est dans toutes les mémoires: Jacques Brel.
Hiva Oa – Îles Marquises
Le groupe Outhere Music s’associe au projet humanitaire et culturel de Music Fund et confère au voyage du Florestan sa dimension sonore. Tous les deux mois, nous vous proposons la « playlist du bord », résumé subjectif et sonore des émotions, des sensations et des échanges qu’autorisent un grand voyage sur un petit voilier…
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Le soleil se lève sur la baie de Cap-Haïtien. Il est 6h et les voiliers traditionnels viennent à peine de quitter le port où dort encore l’équipage du Florestan. John, lui, s’affaire. Le Cemuchca n’accueillera ses premiers élèves qu’à dix heures; arriver quelques heures plus tôt lui permettra de répéter son piano dans le calme au sein de la petite maison jaune et mauve de la rue 18K. Voici un an qu’il a quitté Port-au-Prince et son poste de professeur de français pour se consacrer entièrement à la musique. Apprenti pianiste et contrebassiste, il est également devenu le bibliothécaire et le concierge de l’école. John habite une petite maison construite sur les collines qui ceignent la ville de Cap-Haitien; sa journée commence et se termine dans les tap-tap, ces taxis collectifs qui pullulent sur les routes haïtiennes..
Quiconque a fait l’expérience d’un trajet dans ces pittoresques pick-ups bariolés ne peut qu’apprécier les slogans peints sur leurs habitacles en fibre de verre ou en tôle ondulée: Soufwi pouw viv, l’Avanture, A la volonté de Dieu, Pren couraj ou encore Patience. Préceptes de vie pour beaucoup, messages satiriques et humoristiques pour certains, ils reflètent par leur caractère bien souvent religieux l’âme mystique du peuple haïtien.
Le « Manager » du tap-tap qui mène John à Cap-Haitien, debout sur le marche-pied à l’arrière du véhicule, tape trois fois sur la carrosserie afin de signaler au chauffeur de s’arrêter: voici le bibliothécaire arrivé à bon port. Un menuet de Bach, quelques gammes et deux exercices d’harmonie plus tard, John cède la place à Monsieur Haendel, pianiste-karatéka fraîchement revenu des États-Unis, et à ses six élèves, qui prendront possession des trois pianos du local du rez-de-chaussée. Au bas de l’escalier qui mène à l’étage, Nanneley, jeune flûtiste prodige de 17 ans, enseigne les rudiments de son instrument à deux petites écolières en uniforme. En haut, c’est l’heure du premier cours d’histoire de la musique dispensé par les deux musiciens-navigateurs européens; on y parle de danse. « Quelqu’un peut-il esquisser quelques pas de kompas? » Rires embarrassés de l’assemblée jusqu’à ce que le directeur du Cemuchca, Venel, se prête au jeu sous le regard amusé des élèves. « John, peux-tu m’ouvrir la bibliothèque? J’ai besoin de partitions… » chuchote Viola, la secrétaire, son alto à la main, sur le pas de la porte. John s’exécute, et s’isole au milieu de ses livres pour écouter de la musique sur son téléphone portable.
14h. Tchoupy le sort de sa torpeur pour le cours de contrebasse tandis que le cours d’histoire continue, sur le thème de l’amour cette fois. Le dernier soupir d’Yseult finira par se fondre dans un brouhaha de chaises et de pas; l’orchestre, qui répète chaque jeudi aux dernières heures du jour, attend de pouvoir récupérer le local. John se faufile entre les archets et les pupitres et distribue les différentes partitions aux musiciens. Quelques minutes plus tard, une petite pièce haïtienne, Wai-O, résonne dans les couloirs de l’école. L’orchestre se tourne ensuite résolument vers la musique classique, en entonnant le célèbre Printemps des Quatre Saisons de Vivaldi, qu’il jouera en concert le mois suivant. Ainsi, la musique orchestrale revit chaque semaine sur le terrain qui accueillit deux siècles plus tôt le théâtre de la ville alors appelée Cap Français. Plusieurs opéras français, dont Le Devin du village de Jean-Jacques Rousseau, y furent représentés en langue créole. Peut-être fut-ce le cas de La Vénitienne d’Antoine Dauvergne?
La lumière décline peu à peu dans les locaux du Cemuchca. Les instrumentistes déposent leurs instruments dans la réserve; ils ne les retrouveront qu’à la prochaine session d’orchestre. John rassemble et trie les partitions avant de les ranger, au son du saxophone de Tchoupy. 20h : le soleil se couche sur Hispaniola, le « pays montagneux » et le tap-tap qui ramène John chez lui. Sur le pare-brise brille en lettres blanches: « Cé konsa la vi ».
Sixième intervention de l’équipage du Florestan dans l’émission d’Anne Mattheeuws et Fabrice Kada, « Temps de pause ».
Au programme:
– résumé de l’action menée par l’équipage du Florestan à l’école de musique Cemuchca de Cap-Haïtien
– la bibliothèque du Florestan
C’est à écouter ici:
Tempête d’Ouest avec des grains terribles. À 3 heures du matin, embarqué une énorme lame qui enlève un canot et déplace les deux autres. Compas étalon arraché. Habitacle brisé. Rose hors d’usage. Sur le pont, rouf central défoncé, balayé par la mer. Pavois arraché à babord sur 10 mètres, jambettes tordues ou brisées. A 6 heures, essuyé une terrible rafale. Pour éviter d’engager, largué les écoutes du hunier fixe et du grand volant, perdant le fixe. Constaté déplacement du chargement (…). Mer énorme, pont noyé. Roulis considérable. Grosse fatigue du navire (…).
Livre de bord du trois-mâts Garthnaid, pris dans une tempête au cap Horn le 7 janvier 1920
Six écluses, un lac artificiel et une percée de 30 km dans la roche ont radicalement changé la face du monde pour les navigateurs. On ne peut s’empêcher de penser aux grands voiliers marchands qui franchissaient courageusement, et souvent avec pertes et fracas, le mythique cap Horn afin de convoyer leur cargaison d’Europe ou de la côte Est américaine vers les côtes de Californie. L’ouverture du canal de Panama en 1914 envoya peu à peu les grands voiliers au rebut et les déferlantes du Horn furent rendues aux albatros. Exactement un siècle après son inauguration, le canal draine une part conséquente du commerce mondial. Plus de 13.000 cargos traversent l’isthme chaque année, évitant de la sorte le long et périlleux contournement de l’Amérique du Sud.
Les seuls voiliers à franchir aujourd’hui le canal de Panama sont de frêles esquifs comparés à leurs illustres ancêtres cap-horniers. Si les périls des hautes latitudes sont bien loin, les 50 milles nautiques séparant Colón dans l’Atlantique de Balboa dans le Pacifique réservent pourtant leur lot d’aventures aux voiliers désirant poursuivre leur route vers l’Ouest. Les dizaines de cargos au mouillage dès l’entrée de la rade de Colón ne mentent pas: nous voici bien au coeur d’un dispositif industriel, conçu pour des mastodontes de près de 300 mètres de long, et qu’on s’efforce habituellement de ne pas trop approcher lorsqu’on croise leur route en haute mer. Et autant le dire tout de suite, la cohabitation dans les écluses peut vite tourner à la promiscuité, comme ce fut le cas pour le transit de Florestan, ce 12 mai 2015.
Bardé de vieux pneus et pourvu de près de 150 mètres d’amarres (la longueur réglementaire), Florestan s’engage dans le chenal d’accès de la première écluse alors que le soleil est déjà bas sur l’horizon. Devant nous se précisent les contours d’un immense cargo, maintenu au centre de l’écluse par quatre locomotives. Le pilote qui nous accompagne galvanise les troupes: nous traversons avec ce que l’on appelle un “panamax”, c’est-à-dire un bateau dont les dimensions sont à peu de choses près celles des écluses. Deux autres bateaux de plaisance sont de la partie. En un tour de main, nous voici solidement ficelés en une grappe de trois navires, unis pour le meilleur et pour le pire le temps de suivre le monumental Shiny Halo dans les trois écluses menant au lac Gatún, quelque 26 mètres au-dessus de nos têtes.
On ne peut s’empêcher de ressentir une profonde émotion en voyant les immenses portes de l’écluse se refermer sur l’Atlantique. Avec leur mouvement, c’est tout un chapitre de notre voyage qui se clôt, riche de mille expériences et d’autant de rencontres. L’eau monte vite, cependant, et l’incroyable activité du canal nous ramène à la réalité. Après nous avoir élevés de 9 mètres, le flot ralentit et le calme se fait. Brièvement, cependant car devant nous notre panamax s’ébranle lentement. Le mouvement de ses immenses hélices transforme le plan d’eau en un véritable torrent de montagne. Sans les solides amarres qui nous maintenaient au centre de l’écluse, nous aurions regagné l’Atlantique en passant par au-dessus de la porte…
Les portes, justement. Elles représentent un aspect impressionnant du transit par le canal en cela qu’elles sont originales. Régulièrement démontées et réparées, elles brassent des millions de litres à chaque éclusage, 24 heures sur 24 depuis un siècle. Nous avons eu l’occasion d’en admirer de près les rivets et les soudures puisque au passage dans la seconde écluse, les remous de notre encombrant voisin nous ont dangereusement déviés de notre trajectoire. Il fallut les bras d’une dizaine d’équipiers pour empêcher Florestan de racler l’acier des vénérables “compuertas”, et une bonne dose de flegme pour pardonner aux pilotes de nous avoir fait avancer alors que le Shiny Halo brassait encore l’eau devant nous. Ils s’en tirèrent en nous précisant que peu de matelots ont eu l’insigne honneur de toucher les portes des écluses avec leurs mains…
Au terme d’une courte nuit passée au mouillage à la sortie de la troisième écluse, nous laissons le Shiny Halo derrière nous et entamons la paisible traversée de l’immense lac Gatún. Çà et là, des branches dépassent de l’eau. Il s’agit des restes d’une forêt engloutie voici 100 ans. Aux cris des singes et des oiseaux, se mêlent les accords du banjo de Chan et de la guitare de Junio, nos deux équipiers enrôlés à Colón la veille du départ. Edwin, notre pilote, pousse lui aussi volontiers la chansonette… Et lorsque s’ouvrent devant nous les portes de la dernière écluse, exactement 24 heures après notre départ de Colón, c’est de très bonne humeur que Florestan retrouve l’eau salée et tire ses premiers bords dans l’océan Pacifique.
Panama City, Panama
8° 58′ N – 79° 32′ W
Cinquième intervention de l’équipage du Florestan dans l’émission d’Anne Mattheeuws et Fabrice Kada, « Temps de pause ».
Au programme: résumé des premières semaines de cours à l’école de musique Cemuchca de Cap-Haïtien.
C’est à écouter ici:
La bonne volonté est le moteur du Cemuchca. À de rares exceptions près, le personnel n’est pas payé et c’est face à un auditoire très disparate que nous donnons la plupart de nos cours. Musiciens confirmés ou débutants, les hommes et les femmes qui portent le projet partagent tous un même amour de la musique. Viola, la secrétaire, doit son patronyme à l’instrument qu’elle apprend entre deux inscriptions. Face à son petit bureau et à son tiroir-caisse, elle arpège des accords sur son alto. John, le bibliothécaire, est rivé à sa contrebasse qu’il pratique dès que ses livres lui en laissent le temps. Venel, le directeur, enseigne le violoncelle tandis que Fenor fait orchestre à la maison avec trois de ses enfants. Nannley Flûte, Franz Trompette, Tchoupy Maestro : changer son nom pour signifier que la musique est avant tout une identité. Tchoupy dirige l’orchestre, donne cours de violon, règne sur l’atelier de lutherie, joue du saxophone et de la contrebasse, dirige la fanfare, filme et prend des photos. Formé à la lutherie à Crémone grâce à Music Fund, il permet au Cemuchca d’avoir des instruments en bon état. À l’heure où nous arrivions, Jhilens Gilbert Saintefable Clarinette s’envolait pour la France afin d’y apprendre la réfection des bois…
Formation… C’est bien là l’essentiel pour une institution comme le Cemuchca. Parmi un florilège de chantiers possibles, nous choisissons de prendre en main la bibliothèque de l’école, et d’assister son dynamique gestionnaire dans le développement d’une vraie médiathèque. John Carly Ménard, la vingtaine, a quitté Port-au-Prince afin de venir apprendre la musique au Cap. Motivé et très disponible, il s’est rapidement vu confier des responsabilités. Sa présence à l’école de 7h du matin à 9h du soir l’a également tout naturellement désigné comme concierge. Qu’importe l’heure à laquelle on passe rue 18, on entend toujours les vibrations des notes les plus graves de la contrebasse de John. La bibliothèque est dans un triste état. Le lieu sert autant à stocker quelques partitions qu’à entreposer les objets les plus divers, dans un désordre et une poussière rédhibitoires. Il faudra une semaine pour nettoyer, trier, classer le matériel, et ensuite pour poncer et vernir les planchers. Sans oublier la construction de rayonnages tout neufs, destinés à accueillir les livres. Des livres qu’il restait d’ailleurs à trouver : à part des méthodes et des partitions, peu d’ouvrages garnissaient les étagères de John. Sillonnant la ville de bouquiniste en libraire, nous rassemblons et achetons tout ce que nous avons pu trouver comme ouvrages sur la musique. La plupart viennent de Paris et de Montréal par bateau. À l’avenir, Music Fund enverra aussi des caisses de livres au Cap-Haïtien. La médiathèque est également pourvue d’une petite salle d’écoute, afin de valoriser la centaine de disques donnés par Music Fund et convoyés sur le Florestan.
Le 6 mars a lieu en grande pompe l’inauguration de la nouvelle médiathèque. Pour l’occasion, on offre un verre aux invités, parmi lesquels Nathalie Pouchin, directrice dynamique et efficace de l’Alliance Française du Cap. Logée dans une superbe maison coloniale du centre-ville, l’institution organise des cours de français, mais aussi des spectacles et des séances de cinéma. À l’échelle de la ville, l’Alliance Française représente le seul et unique centre culturel et c’est donc tout naturellement que Nathalie Pouchin et Fenor Onesime se connaissent. L’auditorium de l’Alliance accueille répétitions et concerts des élèves, les musiciens du Cemuchca rehaussant de leur présence certains événements organisés par Nathalie et son équipe. Une équipe qui s’est d’ailleurs élargie alors que nous étions au Cap : John Carly Ménard devra ajouter à son agenda déjà chargé un mi-temps comme responsable de la médiathèque de l’Alliance Française. Repéré par la directrice lors de l’inauguration, le voici désormais engagé pour gérer l’une des bibliothèques les plus importantes de la ville. On ne pouvait rêver mieux pour renforcer les liens entre le Cemuchca et l’Alliance Française du Cap.
Cours de musique, d’harmonie, d’histoire, d’esthétique musicale, de solfège, mais aussi de comptabilité, de gestion, de pédagogie : nos journées passent à la vitesse du son. En contrepoint, mille péripéties émaillent le séjour de Florestan au port du Cap. Tantôt, c’est le voilier de fret « Enfin Jésus » qui nous percute en pleine nuit, ratant sa sortie à la voile. Une autre fois c’est le capitaine de « La Nativité » qui tente de nous faire déguerpir à l’aube afin de décharger son rafiot chargé de bidons, de transats, de matelas et de mobiliers divers. Mentionnons encore le naufrage évité de justesse du voilier « Good Bye ». Sa charge de ciment faillit lui être fatale et l’emporter dans les eaux troubles de la darse. Il y eut aussi ce cargo de 150 mètres qui s’échoua à l’entrée du port. Motif : « nouveau capitaine, il n’a pas l’habitude ». Il fallut deux marées pour le dégager du récif. Et puis tous les soirs, les équipages de « L’Eben Ezer », du « Wonderful », de « Brebis de Dieu » et de tant d’autres voiliers qui nous questionnent indéfiniment et en créole sur notre voyage et sur notre bateau. Brefs moments d’échange avec ces hommes qui partagent une même pauvreté et un même amour de la mer. Les voir manœuvrer leurs bateaux sans moteur est une véritable leçon de navigation.
Et puis un beau jour, il fut temps de partir. Il y aurait de quoi écrire un livre entier sur ces quatre semaines au Cap. Sur l’école, mais aussi sur la ville et ses acteurs, sur les merveilles d’architecture et d’histoire qui jalonnent la région, sur toutes les rencontres fascinantes que nous avons faites. Haïti et les haïtiens nous ont marqués, et nous avons tissé des liens qui nous ramèneront certainement un jour parmi eux. Comme il nous avait accueilli, et après un concert d’adieu organisé à l’Alliance Française, Fenor nous accompagna une dernière fois jusqu’au port, et nous salua comme si nous devions nous revoir le lendemain. Les « musiciens-navigateurs » ont probablement plus reçu qu’ils n’ont donné, et c’est le cœur gros que Florestan largua les amarres et salua de trois coups de corne le port du Cap. Haïti allait cependant encore nous offrir trois superbes mouillages, dernières escales avant de pointer l’étrave vers Cuba puis vers la Jamaïque et de retrouver le rythme si musical de la haute mer.
Fixer avec précision une heure et un lieu de rendez-vous peut s’avérer délicat lorsque l’on dépend du vent et de la mer pour se déplacer. La tempête ou le calme plat contrecarrent souvent les projets des navigateurs, et tels Yseult se languissant de Tristan, ceux qui attendent l’arrivée d’un voilier peuvent passer de longues heures à scruter l’horizon. Lorsque Florestan pénétra dans la baie du Cap-Haïtien, nous avions 24 heures de retard sur la date communiquée au Président du Cemuchca. Le bouillonnant Fenor Onesime nous attendait pourtant sur le quai, comme si nous étions parfaitement dans les temps, et fit en un tour de main le nécessaire pour que Florestan trouve une place pour s’amarrer, à l’ombre du Zealand Delilah, un imposant cargo chargé de 12.000 tonnes de riz. Au terme de quatre jours de mer passablement rudes, nous étions épuisés. Un fort vent du Nord nous ayant pris en tenaille à une encablure des côtes de la République Dominicaine, il avait fallu batailler ferme pour contourner les nombreux récifs qui ceignent Hispagnola et parvenir sans encombre jusqu’à l’entrée de l’étroit chenal qui conduit au Cap.
Avec décontraction, Fenor nous aida à régler les démarches administratives d’usage avant de nous glisser un flegmatique « Allons-y, la fanfare attend ». Nous imaginions un petit concert à l’école pour nous souhaiter la bienvenue en musique, ce qui aurait été en soi une sympathique attention. Nous étions en réalité bien loin du compte. Sur la place à la sortie du port, se tenait un immense cortège de près de 100 personnes en rangs serrés, prêt à s’ébranler. Deux fanfares, des danseurs, des acrobates, des majorettes même : nous étions attendus avec une véritable parade qui nous mena tambour battant à travers la ville, jusqu’à l’école de la Rue 18. L’arrivée des deux « navigateurs-musiciens » avait été annoncée pour la veille. Tous, du Cap et des différentes annexes, étaient venus une première fois pour rien, et tous étaient revenus le lendemain avec le même enthousiasme. Nous avons découvert le petit bâtiment de l’école alors qu’on y offrait à manger aux participants. Dans un joyeux capharnaüm de majorettes, d’instruments, de chaises, le tout baigné des effluves de la cantine de campagne installée pour l’occasion, nous découvrions ce qui allait être notre lieu de travail pour trois semaines à plein régime.
Très vite, les choses se mettent en place. C’est que Fenor et son équipe ont une idée très précise de ce qu’ils attendent de nous. Les étagères de la réserve d’instruments sont chargées de violons, trombones, guitares et autres flûtes, portant tous le logo bien connu de Music Fund. Ils seront bientôt rejoints par les instruments que nous avons convoyés durant plus de huit mois. Si ces instruments représentent évidemment un patrimoine indispensable pour une école comme le Cemuchca, dans le contexte extrêmement précaire que l’on sait, les besoins sont également énormes en termes de formation, d’encadrement et de gestion. Nous donnerons donc des cours aux élèves, mais aussi et surtout, en priorité, aux professeurs eux-mêmes. À l’issue d’une brève réunion, l’horaire hebdomadaire est fixé. Nous travaillerons du lundi au samedi, de 10h à 18h. De retour au bateau, après nous être frayé un passage dans la cohue des dockers tout occupés à décharger les 200.000 sacs de riz du Zealand Delilah, nous réalisons enfin que nous sommes en Haïti et que nous nous apprêtons à vivre un chapitre fondamental de notre projet.
Une sorte de brume baigne le port de Cap-Haïtien. Il ne s’agit ni d’un brouillard, ni des fumées du trafic ou de la combustion des ordures le long des routes. Il s’agit d’une poussière de riz qui émane des cales béantes de notre imposant voisin. Heure par heure, le cargo s’élève sur l’eau au fur et à mesure qu’il s’allège. Florestan semble de plus en plus petit… Sur le même quai, s’entassent un peu à l’écart une poignée de petits voiliers en bois que des hommes chargent de sacs de ciment jusqu’à ce que les bateaux soient prêt à couler. Sans moteur, et avec des voiles découpées dans des bâches publicitaires, ces petits « cargos » de 12 mètres, en planches mal équarries, transportent leur cargaison jusqu’à l’Île de la Tortue, ancien repaire de pirates au large de la côte Nord d’Haïti. Nous quittons ce petit monde le lundi 23 février de bonne heure, troquant nos shorts et nos t-shirts de tous les jours pour nos habits d’école…